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Appel contre les essais atomiques, 23 avril 1957
Premier Appel contre les expérimentations de bombes atomiques, Radio Oslo, 23 avril 1957
Depuis le 1er mars 1954, des bombes à hydrogène ont été expérimentées par les Américains à Bikini (l'une des îles Marshall du Pacifique) et par les Russes en Sibérie. Nous savons qu'expérimenter des armes atomiques ou des armes non-atomiques, c'est chose fort différente.
Autrefois, quand on essayait un nouveau type de canon géant, tout se terminait avec le tir.
Après l'explosion d'une bombe à hydrogène, ce n'est pas le cas. Il reste quelque chose dans l'atmosphère, à savoir un nombre incalculable de particules radioactives, émettant des rayons radioactifs. Il en a été ainsi pour les bombes à uranium qui furent jetées sur Nagasaki et Hiroshima, et pour d'autres qui furent essayées depuis. Mais comme ces bombes étaient plus petites et avaient moins d'effet que les bombes à hydrogène, on n'y a guère prêté attention.
Les résultats
Étant donné que les rayons radioactifs, en quantité et énergie suffisantes, ont des effets nuisibles sur le corps humain, on a commencé à discuter si les radiations résultant des explosions ayant déjà eu lieu représentaient un danger qu'accroîtraient de nouvelles explosions.
Au cours des trois ans et demi qui se sont écoulés depuis lors, des représentants des sciences physiques et médicales ont étudié le problème. Des observations ont été faites sur l'existence, la distribution, l'origine et la nature de la radiation. Les processus par lesquels le corps humain est affecté de façon nuisible ont été analysés.
Les données rassemblées, quoique loin d'être complètes, nous permettent de conclure que la radiation résultant des explosions ayant déjà eu lieu représente un danger pour l'espèce humaine, danger qu'il ne faut pas sous-estimer; et que d'autres explosions de bombes atomiques accroîtront ce danger jusqu'à un point alarmant.
Cette conclusion a été exprimée de façon répétée, surtout durant les quelques derniers mois. Mais, si étrange que cela puisse paraître, l'opinion publique n'en a pas été influencée dans la mesure où on aurait pu s'y attendre. Les gens et les peuples ne s'en sont pas émus jusqu'à accorder à ce danger l'attention que, malheureusement, il mérite. Il faut le leur démontrer et le leur exposer clairement.
Je joins ma voix à ceux qui ont récemment estimé de leur devoir d'agir, par la parole et par l'écrit, pour avertir du danger. Mon âge, et la sympathie que je me suis assurée en préconisant l'idée du respect de la vie, me permettent d'espérer que mon appel pourra contribuer à ouvrir la voie à l'examen approfondi de la question, examen si instamment nécessaire.
Je tiens à remercier la Station de radio Oslo, la ville du Prix Nobel de la Paix, qui permet à ce que j'ai à dire d'atteindre des lieux si éloignés.
Radioactivité
Qu'est-ce que la radioactivité ?
Elle consiste en l'apparition de rayons qui diffèrent de ceux de la lumière en ce qu'ils sont invisibles et qu'ils peuvent passer, non seulement à travers le verre, mais aussi à travers de minces couches de métal et à travers les corps des animaux. Les rayons de ce genre furent découverts pour la première fois en 1895 par le physicien Wilhelm Roentgen, de Munich, et reçurent son nom.
En 1896, le physicien français Henri Becquerel démontra que les rayons de ce genre existaient dans la nature : ils sont émis par l'uranium, élément connu depuis 1786. En 1898, Pierre Curie et sa femme découvrirent dans la pechblende (minerai d'uranium) le radium, élément fortement radioactif.
La joie causée par fait que de tels rayons étaient à la disposition de l'humanité fut tout d'abord sans mélange. On s'aperçut qu'ils influençaient les cellules rapidement croissantes et se détruisant relativement vite, qui existent dans les tumeurs malignes et les sarcomes. Exposées à maintes reprises à ces rayons pendant une longue période, ces cellules sont détruites.
Mais au bout d'un certain temps, on découvrit que la destruction de cellules cancéreuses ne signifiait pas toujours la guérison du cancer ; et on s'aperçut également que les cellules normales de l'organisme étaient sérieusement endommagées si elles étaient exposées trop longtemps aux rayons radioactifs.
Quand Mme Curie, après avoir traité du minerai d'uranium pendant quatre ans, tint enfin le premier gramme de radium dans sa main, il apparut sur sa peau des lésions qu'aucun traitement n'a pu guérir. Avec les années, son état empira continuellement à cause d'une maladie provoquée par les rayons radioactifs, lesquels avaient endommagé la moelle de ses os et, par là, son sang. En 1934, la mort mit fin à ses souffrances.
Pendant de nombreuses années, nul ne se rendit compte du risque que représentaient les rayons X pour ceux qui y étaient constamment exposés, et des centaines de médecins et d'infirmières ont contracté, par leur appareil de rayons X, des maladies incurables menant à une mort lente.
Nature des rayons
Les rayons radioactifs sont matériels. C'est sous cette forme que l'élément radioactif émet constamment, et avec force, de minuscules particules. Il existe trois sortes de rayons radioactifs. On les nomme par les trois premières lettres de l'alphabet grec : alpha, bêta et gamma. Les rayons gamma sont les plus durs et ceux qui ont l'effet le plus fort.
La raison pour laquelle le éléments émettent des rayons radioactifs, c'est qu'ils sont dans un état constant de désintégration ; leur radioactivité est l'énergie libérée petit à petit. Outre l'uranium et le radium, il existe quelques autres éléments qui sont radioactifs, mais fort peu.
A la radiation émise par les éléments de la couche terrestre s'ajoute celle qui vient de l'espace, dans la mesure où elle nous parvient. Heureusement, la couche d'air de 400 km d'épaisseur qui entoure la Terre nous protège de cette radiation ; seule, une très petite fraction en parvient jusqu'à nous. Si elle atteignait la terre avec son intensité complète, toute vie serait annihilée.
Nous sommes donc continuellement exposés à la radiation radioactive provenant de la Terre et de l'espace. Cependant, elle est si faible qu'elle ne nous nuit pas. De plus fortes sources de radiations, comme par exemple les rayons X et le radium, ont, nous le savons, des effets nuisibles si l'on y est exposé pendant un certain temps.
Les rayons radioactifs sont, comme je l'ai dit, invisibles. Comment pouvons-nous dire qu'ils sont là et quelle est leur force ?
Grâce au physicien allemand Hans Geiger, qui mourut en 1945 victime des rayons X, nous avons un instrument qui permet cela : cet instrument est appelé compteur Geiger, il consiste en un tube de métal contenant de l'air raréfié; à l'intérieur se trouvent deux électrodes de métal entre lesquelles existe une forte différence de potentiel ; les rayons radioactifs agissant sur le tube provoquent une décharge entre les deux électrodes. Plus la radiation est énergique, plus vite les décharges se suivent. Un petit dispositif relié au tube rend la décharge audible. Le compteur de Geiger exécute un véritable roulement de tambour quand les décharges sont fortes.
Les bombes
Il existe deux genres de bombes atomiques : les bombes à uranium et les bombes à hydrogène. L'effet d'une bombe à uranium est dû à un processus libérant l'énergie par fission de l'uranium. Dans la bombe à hydrogène, la libération d'énergie provient de la transformation d'hydrogène en hélium. Il est intéressant de noter que ce processus est le même que celui qui se produit dans le centre du soleil et lui fournit son énergie sans cesse renouvelée qu'il émet sous forme de lumière et de chaleur.
En principe, l'effet des deux bombes est le même. Mais, d'après diverses estimations, l'effet d'une des plus récentes bombes à hydrogène est deux cents plus fort que celui de la bombe qui fut jetée sur Hiroshima.
A ces deux bombes a été récemment ajoutée la bombe au cobalt, genre de super-bombe atomique. C'est une bombe à hydrogène entourée d'un revêtement de cobalt. On a estimé que l'effet de cette bombe était bien des fois plus grand que celui des bombes à hydrogène faites jusqu'à présent.
L'explosion d'une bombe atomique crée un nombre inconcevablement grand de particules excessivement petites de radioéléments qui se désintègrent, comme l'uranium ou le radium. Certaines de ces particules se désintègrent très rapidement, d'autres plus lentement, et certaines d'entre elles extraordinairement lentement.
Parmi ces éléments, les plus énergiques cessent d'exister dix secondes seulement après l'explosion de la bombe. Mais, dans ce bref laps de temps, ils peuvent tuer une grande masse de gens dans un cercle de plusieurs kilomètres.
Ce qui reste ensuite, ce sont les éléments les moins puissants. Pour le moment, c'est à ceux-là que nous avons affaire. C'est du danger des rayons radioactifs, relativement faibles, qu'ils émettent, que nous devons nous rendre compte.
Parmi ces éléments qui se désintègrent continuellement, certains subsistent pendant des heures, d'autres pendant des semaines, ou des mois, ou des années, ou des millions d'années.
Nuages radioactifs
Ils flottent dans la couche supérieure de l'atmosphère, sous forme de nuages de poussière radioactive. Les particules les plus lourdes tombent les premières : celles qui sont plus légères resteront plus longtemps dans l'atmosphère, ou retomberont avec la pluie et la neige.
Combien de temps il faudra pour que tout ce qui a été projeté dans les airs par les explosions ayant déjà eu lieu ait disparu, nul ne peut le dire avec certitude. D'après certaines estimations, cela ne se produira pas avant trente ou quarante ans d'ici. Etant enfant, j'ai vu comment la poussière projetée en l'air en 1883 par l'éruption volcanique de l'île de Krakatoa était visible deux ans après, à un point tel que les couchants en revêtaient une splendeur extraordinaire.
Mais ce que nous pouvons dire avec certitude, c'est que les nuages radioactifs seront constamment entraînés par les vents autour du globe et qu'une partie de la poussière, de par son propre poids ou précipitée par la pluie, la neige, le brouillard et la rosée, tombera petit à petit sur la surface de la Terre, sur le sol, sur les rivières et les océans.
Nature des particules
De quelle nature sont ces éléments radioactifs, dont les particules ont été entraînées en l'air par l'explosion des bombes atomiques et qui retombent maintenant ?
Ils représentent d'étranges variantes des éléments non-radioactifs ordinaires ; ils ont les mêmes propriétés chimiques, mais un poids atomique différent. Leurs noms sont toujours suivis de leurs poids atomiques. Le même élément peut exister sous plusieurs variantes radioactives. En plus de l'iode-131, qui ne vit que 16 jours, il existe l'iode-129, qui vit pendant 200 millions d'années.
De dangereux éléments de ce genre sont le phosphore-32, le calcium-45, l'iode-131, le fer-55, le bismuth-210, le plutonium-239, le cérium-144, le strontium-89, le césium-137. Au cas où la bombe hydrogène est recouverte de cobalt, il faut y ajouter le cobalt-60. Les éléments qui combinent une longue vie avec une radiation relativement forte sont particulièrement dangereux. Parmi ceux-ci, le strontium-90 occupe la première place ; il est présent en très grande quantité dans la poussière radioactive. Le cobalt-60 doit également être mentionné comme particulièrement dangereux.
Pénétration des radiations
La radioactivité atmosphérique, accrue par ces éléments, ne nous nuira pas de l'extérieur, n'étant pas assez forte pour pénétrer dans la peau. Tout autre est le cas de la respiration, par laquelle les éléments radioactifs peuvent entrer dans notre organisme. Mais le danger qu'il faut souligner par-dessus tout, c'est celui qui provient du fait que nous buvons de l'eau radioactive, et que nous mangeons des aliments radioactifs, par suite de la radioactivité accrue de l'atmosphère. A la suite des explosions de Bikini et de Sibérie, la pluie tombant sur le Japon a, de temps en temps, été si radioactive que l'eau de pluie n'était plus buvable. Et ce n'est pas tout : des rapports sur des pluies radioactives nous viennent de toutes les parties du monde où les analyses ont été faites récemment. En plusieurs endroits, l'eau s'est montrée si radioactive qu'on ne pouvait la boire. L'eau de puits ne devient fortement radioactive qu'après de longues périodes de fortes pluies.
Partout où on trouve de l'eau radioactive, le sol l'est également - et à un degré plus élevé. Le sol est rendu radioactif non seulement par l'eau de pluie, mais aussi par la poussière radioactive qui tombe d'elle-même.
Et en même temps que le sol, la végétation deviendra, elle aussi, radioactive. Les éléments radioactifs déposés sur le sol passent dans les plantes où ils s'accumulent. Ceci est important, car, par ce processus, il est possible que nous soyons menacés par une quantité considérable d'éléments radioactifs. Ceux qui se trouvent dans l'herbe une fois qu'elle est mangée par les animaux dont la viande est utilisée pour l'alimentation, seront absorbés et accumulés dans notre organisme.
Dans le cas des vaches, l'absorption se fait par l'intermédiaire du lait que nous buvons. De cette manière, même de petits enfants courent le risque d'absorber des éléments radioactifs, qui sont particulièrement dangereux pour eux.
Quand nous mangeons des légumes et des fruits, les éléments radioactifs qui y sont accumulés nous sont transmis.
Accumulation
Il a été clairement démontré ce qu'implique cette accumulation de matières radioactives par les observations faites quand on a analysé une fois la radioactivité de la rivière Columbia, aux Etats-Unis.
Cette radioactivité était causée par les usines atomiques d'Hanford, qui produisent de l'énergie atomique pour des buts industriels et qui rejettent leurs eaux usées dans la rivière. La radioactivité de l'eau de la rivière était insignifiante mais la radioactivité du plancton de la rivière était 2000 fois plus forte ; celle des canards mangeant du plancton 40 000 fois plus forte, celles des poissons 150 0000 fois plus forte. Chez les jeunes hirondelles, nourries d'insectes attrapés par leurs parents sur la rivière, la radioactivité était 500 000 fois plus forte ; et dans le jaune des œufs des oiseaux aquatiques, plus d'un million de fois plus forte.
Les effets
De sources officielles ou non, on nous a assurés bien des fois que l'accroissement de la radioactivité de l'atmosphère ne dépasse pas la quantité que le corps humain peut tolérer sans le moindre effet nuisible. Mais c'est là esquiver le problème. Même si nous ne sommes pas directement affectés par les matières radioactives de l'air, nous sommes indirectement affectés par ce qui est tombé, par ce qui tombe et qui tombera. Nous absorbons cela par l'eau potable radioactive et par les aliments animaux et végétaux, dans la mesure où les éléments radioactifs sont stockés dans la végétation de la région dans laquelle nous vivons.
Malheureusement pour nous, la nature accumule ce qui tombe de l'atmosphère. Dans la radioactivité de l'air créée par l'explosion de bombes atomiques, rien n'est insignifiant au point de ne pouvoir à la longue devenir un danger pour nous, en accroissant la quantité de radioactivité accumulée dans nos corps.
Ce que nous absorbons de radioactivité ne se répand pas de façon égale dans tous nos tissus cellulaires. Elle se dépose dans certaines parties du corps, surtout dans le tissu osseux, ainsi que dans la rate et le foie. Ce qui manque en force à la radioactivité est compensé par la durée. Elle agit nuit et jour sans interruption.
Maladies causées
Comment la radioactivité affecte-t-elle les cellules d'un organisme? En devenant ionisées, c'est-à-dire électriquement chargées. Ce changement signifie que les processus chimiques qui permettent aux cellules de faire leur travail ne fonctionnent plus comme ils le devraient. Les cellules alors ne peuvent plus accomplir les tâches qui sont d'une importance vitale pour nous. Nous devons également nous rappeler qu'un grand nombre de cellules d'un organisme peuvent dégénérer ou mourir par suite de la radiation.
Quelles sont les maladies causées par la radiation interne? Les mêmes que l'on sait causées par la radiation externe. Ce sont principalement des maladies graves du sang. Les cellules de la moelle rouge des os, où se forment les globules rouges et les globules blancs, sont très sensibles aux rayons radioactifs. Si ces cellules sont endommagées par la radiation, elles produiront trop peu de corpuscules du sang ou bien des corpuscules anormaux en pleine dégénérescence. Dans les deux cas, cela conduit à des maladies du sang et, le plus souvent, à la mort. Ce sont ces maladies qui ont tué les victimes des rayons X et du radium.
C'est une de ces maladies qui a atteint les pêcheurs japonais qui furent surpris à bord de leurs bateaux par des cendres radioactives tombant à 150 km de Bikini après l'explosion d'une bombe à hydrogène. Gens solides et relativement peu atteints, ils furent tous maintenus en vie à l'exception d'un d'entre eux par des transfusions sanguines continues.
Dans le cas que nous avons cités, la radiation venait de l'extérieur. Il est malheureusement très probable que la radiation interne atteignant la moelle des os - et cela pendant des années - aura le même effet, étant donné surtout que la radiation va du tissu osseux à la moelle des os. Comme je l'ai dit, les éléments radioactifs sont de préférence stockés dans le tissu osseux.
Effet génétique
Ce n'est pas seulement notre santé qui est menacée par la radiation interne, c'est aussi celle de nos descendants. Le fait est que les cellules des organes reproducteurs sont particulièrement vulnérables à la radiation qui attaque le noyau cellulaire à un tel point qu'on peut le voir au microscope.
Le profond dégât infligé à ces cellules a ses répercussions sur nos descendants. Il provoque la naissance d'enfants mort-nés ou de bébés ayant des malformations mentales ou physiques.
A ce sujet, nous pouvons également nous référer aux effets connus de la radiation provenant de l'extérieur. C'est un fait - même si les statistiques publiées par la presse doivent être vérifiées - qu'à Nagasaki, durant les années qui ont suivi la chute de la bombe atomique, on a observé un nombre anormalement élevé d'enfants mort-nés et d'enfants malformés.
Pour découvrir comment la radiation radioactive a affecté la postérité, on a fait des études comparatives entre les descendants des médecins ayant utilisé des appareils de rayons X pendant des années et ceux de médecins qui ne s'en sont pas servi. Cette étude a porté sur environ 3000 médecins dans chaque groupe. On a trouvé une différence notable : parmi les descendants de radiologues, on a trouvé 14,03 pour mille de mort-nés, alors que pour les non-radiologues on ne constatait que 12,22 pour mille ; dans le premier groupe, 6,01% des enfants avaient des défauts congénitaux, alors qu'il n'y en avait que 4,82% parmi le second groupe. Le nombre d'enfants sains dans le premier groupe était de 80,42% ; ce nombre, dans l'autre groupe, était nettement supérieur : 83,23%.
Il faut se rappeler que la radiation interne, même la plus faible, peut avoir des effets nuisibles sur nos descendants.
D'après les lois de la génétique, l'effet total du mal fait aux descendants d'ancêtres ayant été exposés aux rayons radioactifs n'apparaîtra pas d'emblée dans les générations qui nous suivent immédiatement ; le plein effet n'apparaîtra que 100 à 200 ans plus tard.
Dans la situation actuelle, nous ne pouvons citer maintenant des cas de dommages sérieux causés par la radiation interne ; dans la mesure où une telle radiation existe, elle n'est pas suffisamment forte et n'a pas duré assez longtemps pour avoir causé le dommage indiqué. Tout ce que nous pouvons c'est, à partir des effets nuisibles connus comme ayant été causés par la radiation externe, déduire les effets que nous devons attendre dans l'avenir de la radiation interne.
Même si cette dernière n'est pas si forte que la radiation externe, elle peut pourtant peu à peu le devenir, car elle agit continuellement pendant des années et atteint ainsi une puissance qui peut conduire aux mêmes effets que les rayons, en soi plus forts, qui viennent de l'extérieur. Leurs effets s'additionnent.
Nous devons également nous souvenir que la radiation interne, à la différence de celle qui vient de l'extérieur, n'a pas à pénétrer les couches de peau, de tissus et de muscles pour parvenir jusqu'aux organes. Elle agit directement et sans aucune diminution de sa force. Si nous nous rendons compte des conditions dans lesquelles la radiation agit de l'intérieur, nous cesserons de la sous-estimer.
Les explosions futures
Quand nous parlons des dangers de la radiation interne, même s'il est vrai que nous ne pouvons désigner aucun cas précis, et que nous ne pouvons qu'exprimer notre crainte, celle-ci est pourtant si solidement fondée sur des faits qu'elle atteint le poids d'une réalité capable de déterminer notre attitude.
Nous sommes fondés de considérer chaque accroissement du danger existant - par la poursuite des explosions de bombes atomiques et la production d'éléments radioactifs qui en résulte - comme une catastrophe pour l'espèce humaine, catastrophe qui doit être empêchée, quelles que soient les circonstances.
Il ne peut être question de se comporter autrement, quand ce ne serait que parce que nous ne pouvons prendre la responsabilité des conséquences possibles pour notre descendance. Elle est menacée par le plus grand et le plus terrible danger.
Qu'on trouve ans la nature des éléments radioactifs créés par nous est un événement inconcevable jusqu'alors dans l'histoire de la Terre et de l'espèce humaine. Ne pas considérer l'importance de cet événement et ses conséquences serait une folie pour laquelle l'humanité aurait à payer un prix terrible. Nous commettons cette folie sans y penser.
Que faire ?
Il est indispensable de se mobiliser avec perspicacité, sérieux et courage, pour renoncer à cette folie et faire face à la réalité avant qu'il ne soit trop tard.
Au fond, c'est ce que pensent également les hommes d'Etat des pays qui font des bombes atomiques. Par les rapports qu'ils reçoivent, ils sont suffisamment avertis pour former leur propre jugement, et nous devons aussi admettre qu'ils se rendent compte de leurs responsabilités.
De toute manière, l'Amérique, la Russie et l'Angleterre se disent et se redisent les unes aux autres qu'elles ne désirent rien davantage que de parvenir à un accord mettant fin aux essais d'armes atomiques. Pourtant, en même temps, elles déclarent qu'elles ne peuvent arrêter les essais tant qu'il n'y a pas d'accord de ce genre.
Le rôle de l'opinion
Pourquoi ne parviennent-elles pas à un accord ? La vraie raison, c'est que, dans leurs propres pays, il n'y a pas d'opinion publique qui l'exige. Et une opinion publique de ce genre n'existe pas non plus dans les autres pays, sauf au Japon. Cette opinion s'est imposée au Japonais parce qu'ils savent que, petit à petit, ils seront frappés de la façon la plus terrible par les néfastes conséquences de tous les essais.
Un accord de ce genre présuppose l'honnêteté et la confiance. Il faut des garanties empêchant que l'accord soit signé par quiconque aurait l'intention d'en tirer d'importants avantages tactiques qu'il serait seul à prévoir.
L'opinion publique de tous les pays concernés doit inspirer l'accord et le valider.
Une fois que se manifestera dans les pays concernés et parmi toutes les nations une opinion publique consciente des dangers, qu'implique la continuation des essais, et guidée par la raison qu'impose une telle information, alors les hommes d'Etat pourront parvenir à un accord sur l'arrêt des expériences.
Une opinion publique de ce genre ne nécessite ni plébiscites ni formation de comités pour s'exprimer. Elle exerce une action par sa seule présence. La fin des expériences de bombes atomiques sera l'aube de l'espoir en la paix. L'humanité y aspire.