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Le chemin de la paix, aujourd’hui (1963)

Le chemin de la paix, aujourd'hui, Lambaréné, 3.8.1963

Si aujourd'hui on veut se placer sur le chemin de la paix, le point de départ approprié sera l'accord de Moscou contre la poursuite des expérimentations nucléaires, qui fut signé cette année, le 25 juillet. C'est un premier pas.

Dans cet accord, les gouvernements de l'Union-Soviétique, des Etats-Unis et de l'Angleterre ont résolu ensemble de renoncer aux expérimentations nucléaires dans l'air et sous l'eau. Cela signifie  qu'ils sont décidés à abandonner ensemble leur programme de construction d'armes atomiques de plus en plus puissantes. Car la réalisation de ce programme devient impossible s'ils arrêtent les grandes expérimentations qui seules permettent de tester la fonction et l'efficacité d'armes atomiques puissantes.

L'intérêt de cet accord tient également au fait que par cette renonciation le taux de radioactivité de l'atmosphère, du sol et de l'eau, produit par les expérimentations et déjà très élevé et dangereux pour l'humanité, cessera de croître.

En outre, cet arrêt tant des expérimentations que de la fabrication des armes nucléaires permettra aux grandes puissances d'éviter la ruine économique et ses dangereuses conséquences. Elles se trouvaient, en effet, menacées par les crises et la ruine à la suite des immenses dépenses que nécessitait l'insensée course aux armements. Il est vrai que les armes atomiques les plus perfectionnées sont, comme les avions modernes, des merveilles de la technologie et que leur coût est élevé en conséquence.

De fait, par cet accord de Moscou, nous nous retrouvons dans une situation analogue à celle que nous avons connue pendant un certain temps après le 31 octobre 1958. Ce jour-là, on se le rappelle, les experts des grandes puissances, réunis à Genève au palais des Nations unies, pour réfléchir sur les moyens de parvenir à une renonciation commune des expérimentations nucléaires, avaient proposé que soient créées 180 stations de contrôle, réparties sur toute la planète et à partir desquelles les savants, trente par station, pourraient constater des explosions expérimentales où qu'elles se produisent.

Là-dessus, sans attendre la mise en place de ce système planétaire de surveillance, les Soviétiques, les Américains et les Anglais avaient décidé jusqu'à nouvel ordre de ne plus procéder à des expérimentations. Ils ont maintenu leur décision, même quand il s'avéra que ce plan d'un contrôle tous azimuts était irréalisable.

L'Amérique demanda, cependant, que les explosions souterraines, non repérables, restent autorisées. C'est Teller et quelques autres savants américains qui avaient obtenu une telle concession, dans le but de continuer à tester et à produire des armes atomiques plus petites.

Les Anglais et les Soviétiques acceptèrent, ces derniers déclarant qu'ils n'avaient pas, quant à eux, l'intention de se livrer à des essais atomiques souterrains.

Ainsi a-t-on déjà, avant l'accord de Moscou, connu une période pendant laquelle les expérimentations au-dessus du sol étaient interdites et celles sous la terre demeuraient permises. Cette période dura du 31 octobre 1958 jusqu'au 1er septembre 1961.

Ce jour-là, les Soviétiques reprirent leurs expérimentations nucléaires, en grand, au-dessus de la terre et ils firent savoir qu'ils en feront également des souterraines.

La course était relancée. Toutes les puissances nucléaires entreprirent des séries d'explosions de grande ampleur pour tester de nouvelles armes atomiques, plus puissantes. Les plus puissantes furent produites par les Soviétiques.

Avec ces nouveaux essais, la radioactivité de l'atmosphère, de la croûte terrestre et de l'eau augmenta de façon inquiétante.

S'accrut également la peur qu'à la suite d'un incident quelconque une terrifiante guerre atomique ne se déclenche.

Grâce à l'accord de Moscou, nous nous retrouvons aujourd'hui sur un chemin un peu moins dangereux. Mais il faudra encore bien d'autres accords avant que l'humanité ne sorte du danger où l'a jetée l'existence d'armes atomiques.

L'accord de Moscou est une aurore. Mais le soleil ne se lèvera pour nous que lorsqu'il sera mis fin à toutes les expérimentations nucléaires, y compris les souterraines, car il faut craindre que celles-ci n'entraînent une multiplication des tremblements de terre.

Il était et il reste regrettable que les grandes puissances qui ont signé cet accord n'aient pu se résoudre à arrêter également leur programme d‘expérimentations nucléaires souterraines pour le motif qu'elles n'ont pas trouvé le moyen d'en contrôler strictement l'application et parce qu'elles n'arrivent pas à se faire suffisamment confiance pour tout de même croire que l'accord sera respecté, même si un contrôle effectif et total s'avère impossible.

Notre prochain objectif va être d'obtenir la suppression des grandes quantités d'armes atomiques déjà existantes. C'est une condition de la paix. Mais là non plus il ne sera pas possible d'appliquer des mesures de contrôle absolument satisfaisantes. On n'arrivera donc à cette suppression que si pour la respecter une garantie quelconque pourra être établie. Dans le cours des négociations à venir, qui chercheront à ouvrir ce chemin de la paix, en passant par l'abolition de l'armement atomique, les grandes puissances devront bien se juger réciproquement dignes de confiance pour conclure un nouvel accord et se fier à la parole de l'autre.

Une garantie reposant sur la confiance sera de par sa nature même supérieure à celle qui reposerait sur un contrôle total. Pourquoi? Parce que dans ce dernier cas ne sera assurée que la possibilité de découvrir les violations de l'accord. Au contraire, la garantie que fonde la confiance donnera l'assurance que l'accord sera respecté effectivement.

Si les grandes puissances ne trouvent pas en elles le courage de la confiance, l'abolition de l'armement nucléaire, comme base de la paix future, n'aura pas lieu.

Mais comment créer ce climat de confiance? Non pas par des déclarations d'intention que s'adresseraient mutuellement les gouvernements qui engagent les négociations, mais seulement par l'apparition chez leurs peuples d'une opinion publique qui réclamera l'abolition de l'armement nucléaire et les mesures nécessaires pour la garantir.

Les gouvernements existants peuvent être dissous et remplacés par d'autres défendant une position différente. Mais les peuples, eux, demeurent. Leur volonté est déterminante.

Il faut donc qu'à notre époque nous soyons persuadés que si aucune opinion publique ne demande l'abolition des armes atomiques, cette abolition ne pourra être réalisée.

Tous les gouvernements concernés sont loin d'avoir conscience de cela. Il y en a qui désirent la paix et se montrent prêts à supprimer leur stock d'armes nucléaires, mais ils ne paraissent pas souhaiter qu'au sein de leur peuple s'exprime une opinion publique qui veillerait à ce qu'une telle politique soit appliquée. Ils préfèrent avoir affaire à une opinion incertaine, susceptible d'être manipulée par eux à volonté. La manipulation de l'opinion publique n'est-elle pas à notre époque l'occupation principale de nos gouvernements ?

Aujourd'hui où pour arriver à la paix il faut au préalable supprimer complètement et sans tarder un armement qui s'est tant développé, on ne doit s'imaginer dans aucun des pays concernés que cela est réalisable si l'opinion publique réclamant de telles mesures ne peut s'exprimer.
Les peuples eux-mêmes doivent se dresser contre l'armement atomique, si un beau jour l'humanité doit être délivrée de ce péril.

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